16 Juil 2020

Par un arrêt n° 440055 du 15 juillet 2020, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la question de savoir si l’abstention liée à la crise sanitaire lors du premier tour des élections municipales du 15 mars 2020 était de nature à entraîner l’annulation d’un scrutin.

En l’occurrence, le requérant contestait les opérations électorales qui s’étaient déroulées sur la commune de Saint-Sulpice-sur-Risle le 15 mars 2020 en invoquant comme seul et unique moyen le taux d’abstention dans la commune – 56,07 % – lié à la crise sanitaire. Elément important : l’écart de voix entre les listes – paramètre fondamental en matière de contentieux électoral – était considérable puisque la liste arrivée en tête du scrutin avait obtenu 70,72 % des suffrages exprimés alors que la liste conduite par le requérant avait obtenu seulement 29,27 % des suffrages exprimés.

Dans un considérant d’une remarquable clarté, le Conseil d’Etat va rappeler que, dans les communes de mille habitants et plus, aucune disposition législative ne subordonne « la répartition des sièges au conseil municipal à l’issue du premier tour de scrutin » à un taux de participation minimal (à l’inverse des communes de moins de mille habitants pour lesquelles un taux de participation minimal de 25% des électeurs inscrits est exigé). Et le Conseil d’Etat de conclure que « le niveau de l’abstention n’est ainsi, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats du scrutin, s’il n’a pas altéré, dans les circonstances de l’espèce, sa sincérité ».

Pour le dire simplement : un taux d’abstention élevé, quelle qu’en soit la cause, n’est pas un grief suffisant pour permettre, à lui seul, la remise en cause des opérations électorales dans les communes de mille habitants et plus.

Cet arrêt est intéressant car il s’agit de la première décision du Conseil d’Etat portant sur les conséquences de l’abstention liée au coronavirus dans le cadre d’un contentieux concernant les élections municipales des 15 mars et 28 juin 2020. Au-delà toutefois de son intérêt strictement factuel, il convient de nuancer l’importance de l’arrêt du 15 juillet 2020.

Tout d’abord, le principe selon lequel un requérant ne peut se prévaloir d’un taux d’abstention élevé lors d’un scrutin n’est pas nouveau puisqu’il avait déjà été consacré par le Conseil constitutionnel statuant comme juge de l’élection (décision n° 98–2571/2572/2573 AN du 9 mars 1999).

Ensuite et surtout, cet arrêt du Conseil d’Etat est loin d’avoir réglé la question de l’abstention liée au contexte sanitaire lors des élections municipales du 15 mars et du 28 juin 2020 et de ses conséquences sur la régularité d’un scrutin.

En effet, s’il résulte de l’arrêt du Conseil d’Etat du 15 juillet 2020 qu’un taux d’abstention élevé ne suffit pas à lui seul pour annuler une élection, ce moyen est susceptible d’être opérant s’il est combiné avec d’autres moyens (communication électorale irrégulière, manœuvres frauduleuses, moyens de pression sur les électeurs, etc.).

En d’autres termes, l’abstention liée à la crise sanitaire ne suffit pas à annuler une élection mais elle peut y contribuer.

Pour être véritablement fixé sur les conséquences d’un taux d’abstention élevé lié à la crise sanitaire dans le cadre d’un contentieux sur les élections municipales des 15 mars et 28 juin 2020, il conviendra donc d’attendre que le Conseil d’Etat soit saisi d’un appel concernant la contestation d’un scrutin où, d’une part, l’écart de voix est faible et, d’autre part, le moyen tiré de l’impact de la crise sanitaire sera combiné avec d’autres moyens.

Et cette problématique sera, très précisément, au cœur de l’arrêt que le Conseil d’Etat sera amené à rendre dans les prochains mois concernant les élections municipales de la commune de Malville annulées par le tribunal administratif de Nantes dans un jugement n° 2004764 du 9 juillet 2020.

Par ce jugement, le tribunal administratif de Nantes a annulé les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 en vue de l’élection des conseillers municipaux de la commune de Malville au motif que la faible participation lors du scrutin pouvait être attribuée, « au moins en partie, au contexte sanitaire » ainsi qu’« aux messages diffusés par le Gouvernement dans les jours précédant le scrutin », circonstances ayant « dissuadé une partie significative des électeurs de se rendre au bureau de vote ».

Le cas des élections municipales de Malville diffère de celui des élections municipales de Saint-Sulpice-sur-Risle sur au moins deux points :

  • Première différence : le faible écart de voix. Dans le contentieux des élections de Malville, ce sont seulement trois voix qui ont permis à la liste élue d’obtenir la majorité absolue pour remporter la victoire dès le 1er tour.
  • Deuxième différence : les moyens invoqués. Dans le contentieux des élections de Malville, le taux d’abstention élevé lié à la crise sanitaire n’est pas le seul moyen invoqué. Il est combiné par la requérante avec un autre moyen, à savoir le caractère contradictoire des messages adressés par le Gouvernement aux électeurs.

Dans le cadre du recours dirigé contre les opérations électorales de la commune de Malville, le Conseil d’Etat sera donc amené à préciser la portée du moyen tiré de l’impact de la crise sanitaire lorsque, en cas de faible écart de voix, celui-ci est combiné avec d’autres moyens

Mais surtout, le Conseil d’État aura à examiner la question délicate de savoir si les « messages diffusés par le Gouvernement dans les jours précédant le scrutin » ont pu revêtir un caractère contradictoire ou dissuasif et contribuer ainsi à altérer la sincérité du scrutin.

Ou bien le Conseil d’État considère que les messages adressés par le Gouvernement relevaient de recommandations relatives à l’aménagement des bureaux de vote et au respect des consignes sanitaires et il en conclut qu’il n’y avait pas lieu d’annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 sur la commune de Malville.

Ou bien le Conseil d’Etat retient une solution plus inattendue et confirme le jugement du tribunal administratif de Nantes au motif que, compte tenu du faible écart de voix, les messages adressés par le Gouvernement ont présenté un caractère contradictoire et ont eu pour effet de dissuader certains électeurs de se déplacer aux urnes.

Si cette seconde hypothèse était privilégiée, elle pourrait entraîner une succession d’annulation de scrutins compte tenu du nombre important de protestations électorales déposées devant les tribunaux administratifs pour des motifs strictement identiques à ceux soulevés dans le cadre des élections municipales de Malville.

Jean-Christophe Ménard rejoint le cabinet LOG Avocats comme associé à partir du 1er janvier 2024.

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