14 Nov 2019
Ménard avocat droit public élection europe parti politique

Le règlement n° 2004/2003 du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 permet aux partis politiques au niveau européen qui en font la demande de bénéficier, chaque année, d’un financement par le budget général de l’Union européenne à la condition toutefois que ces fonds ne soient utilisés ni « pour le financement direct ou indirect d’autres partis politiques, et notamment des partis nationaux » ni pour le financement de campagnes référendaires ou de campagnes électorales de candidats nationaux (articles 7 et 8 du règlement n° 2004/2003).

Au titre du financement par le budget général de l’Union européenne, le parti politique au niveau européen « Alliance pour une Démocratie Directe en Europe » (ADDE) a bénéficié d’une subvention de 1 241 725 euros pour l’exercice financier 2015. Estimant que ces fonds avaient été en partie consacrés par cette formation politique au financement de plusieurs sondages dans le cadre de campagnes référendaires, le bureau du Parlement européen a, dans une décision du 21 novembre 2016, déclaré inéligible au financement européen des dépenses d’un montant total de 500 615,55 euros et exigé de l’ADDE qu’elle rembourse la somme de 172 654,92 euros.

Considérant cette décision comme étant entachée de partialité au motif que l’un des membres du bureau du Parlement européen avait manifesté de manière publique son hostilité à l’octroi d’un financement européen de l’ADDE avant même que le bureau du Parlement ne se soit officiellement prononcé, l’ADDE a donc saisi le Tribunal de l’Union européenne afin d’obtenir l’annulation de la décision du 21 novembre 2016.

Par un jugement du 7 novembre 2019, le Tribunal de l’Union européenne a fait droit à la demande formée par l’ADDE et il a précisé les modalités d’attribution à un parti politique au niveau européen des fonds provenant du budget général de l’Union européenne ainsi que les conditions dans lesquelles ces fonds peuvent être employés.

Dans un premier temps, le Tribunal de l’Union européenne va rappeler, d’une part, que le droit à une bonne administration consacrée par l’article 41 § 1er de la Charte des droits fondamentaux garantit à toute personne le droit de voir ses affaires traitées impartialement par les institutions et les organes de l’Union européenne et, d’autre part, que ce droit relève des principes généraux du droit de l’Union européenne (voir précédemment CJUE, 20 décembre 2017, Espagne/Conseil, C‑521/15, EU:C:2017:982).

Le Tribunal va encore indiquer que le respect du principe d’impartialité revêt une importance d’autant plus fondamentale que le Parlement européen dispose d’une marge d’appréciation élevée dans le cadre du contrôle de l’éligibilité à un financement européen des dépenses engagées par un parti politique.

En l’occurrence, l’un des membres du bureau du Parlement européen, par ailleurs responsable du suivi des dossiers relatifs au financement des partis politiques au niveau européen, avait fait savoir lors d’une prise de position publique antérieure à l’adoption de la décision du 21 novembre 2016 litigieuse qu’il estimait « illégale » et « frauduleuse » la perception par l’ADDE de fonds provenant du budget général de l’Union européenne.

Le Tribunal de l’Union européenne a donc estimé que, « du point de vue d’un observateur externe », ces propos laissaient à penser que l’un des membres du bureau du Parlement européen « avait préjugé la question avant l’adoption de la décision attaquée relative à l’exercice financier 2015 ». Et le Tribunal de préciser que « le Parlement doit offrir des garanties suffisantes pour exclure tout doute concernant l’impartialité de ses membres lors de la prise de décisions de nature administrative, ce qui implique que les membres s’abstiennent de tenir des propos publics se rapportant à la bonne ou mauvaise gestion par les partis politiques au niveau européen des fonds octroyés lorsque les dossiers sont en cours d’étude ».

Dès lors, le Tribunal de l’Union européenne a considéré que la décision du bureau du Parlement européen du 21 novembre 2016 méconnaissait le principe d’impartialité.

Dans un deuxième temps, le Tribunal devait examiner si les dépenses engagées par l’ADDE pour la réalisation de sondages dans sept Etats membres de l’Union européenne étaient ou non éligibles à un financement par le budget général de l’Union européenne.

Après avoir rappelé les dispositions des articles 7 et 8 du règlement n° 2004/2003 prohibant l’utilisation, par un parti politique au niveau européen, de fonds provenant du budget général de l’Union européenne soit pour le financement direct ou indirect d’autres partis politiques soit pour le financement de campagnes électorales de candidats nationaux ou de campagnes référendaires, le Tribunal précise que l’activité d’un parti politique au niveau européen doit être considérée comme contribuant à une campagne référendaire si les trois conditions suivantes sont réunies :

  • La connaissance par le public de la tenue d’un référendum ;
  • L’existence d’un « lien direct et manifeste entre l’activité en cause du parti politique et la question visée par le référendum» ;
  • L’existence d’une proximité temporelle entre l’activité du parti politique et la date du référendum.

Or, sur l’ensemble des sondages réalisés par l’ADDE dans les sept Etats membres, seul celui effectué au Royaume-Uni dans le cadre de la campagne relative au Brexit était concerné par l’interdiction prévue par l’article 8 du règlement n° 2004/2003. A l’inverse, le Tribunal a estimé que les sondages effectués dans les six autres Etats membres – où aucun référendum n’était d’ailleurs envisagé – ne relevaient pas de cette interdiction.

En revanche, le Tribunal n’a pas retenu la violation de l’article 7 du règlement n° 2004/2003 portant sur l’interdiction du financement indirect d’un parti politique national par un parti politique au niveau européen alors même que le financement par l’ADDE d’un sondage effectué au Royaume-Uni dans le cadre de la campagne référendaire relative au Brexit aurait pu être qualifié d’aide indirecte aux partis politiques britanniques favorables à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.

Toujours est-il que le Parlement européen ne pouvait considérer qu’aucun des sondages réalisés par l’ADDE n’était éligible au financement provenant du budget général de l’Union européenne.

Compte tenu des atteintes au principe d’impartialité et de la nature des sondages en cause, le Tribunal de l’Union européenne a donc accueilli la demande formée par le parti politique ADDE et a annulé la décision du Parlement européen du 21 novembre 2016.

Accéder au jugement du Tribunal de l’Union européenne n° T-48/17 du 7 novembre 2019 

Crédits photo : Jean-Marc Loos

Jean-Christophe Ménard rejoint le cabinet LOG Avocats comme associé à partir du 1er janvier 2024.

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