16 Mai 2022
CNCCFP

Le droit électoral est une matière technique et complexe où l’inobservation d’une règle en apparence anodine peut avoir des conséquences particulièrement brutales pour les candidats et, plus encore, pour ceux ayant remporté l’élection.

L’une de ces règles concerne l’obligation faite aux candidats par l’article L. 52-12 du code électoral de déposer auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) un compte de campagne présenté par un membre de l’ordre des experts-comptables à moins que le candidat ou bien ait obtenu moins de 1% des suffrages exprimés ou bien ait « obtenu moins de 5 % des suffrages exprimés et que les recettes et les dépenses de son compte de campagne n’excèdent pas un montant fixé par décret ».

À défaut de respecter cette obligation, le candidat fautif s’expose à une double sanction :

  • Le rejet de son compte de campagne et, de ce fait, le non-remboursement des dépenses électorales engagées ;
  • Le risque d’inéligibilité et la démission d’office du mandat, le rejet du compte de campagne entraînant en effet la saisine du juge de l’élection par la CNCCFP afin qu’il apprécie s’il y a lieu de déclarer le candidat inéligible.

Il va sans dire qu’une déclaration d’inéligibilité ne revêt pas la même importance selon que le candidat a été élu ou non. Dans le premier cas, s’ajoute à la sanction financière du non-remboursement des dépenses électorales une démission d’office, la perte du mandat et, selon la durée de l’inéligibilité prononcée, l’impossibilité de se présenter à un nouveau mandat.

La déclaration d’inéligibilité du candidat n’est cependant pas automatique.

Alors que la déclaration d’inéligibilité prévue par l’article L. 118-3 du code électoral dans sa version en vigueur jusqu’au 30 juin 2020 relevait d’une faculté du juge de l’élection dans l’hypothèse d’une méconnaissance par le candidat de l’article L. 52-12 du code électoral et d’une obligation en cas de volonté de fraude du candidat ou de manquement d’une particulière gravité, le dispositif dorénavant en vigueur prévoit que la déclaration d’inéligibilité n’est plus qu’une faculté laissée à l’appréciation du juge de l’élection.

Concernant plus précisément l’irrégularité tenant à l’absence de présentation du compte de campagne par un membre de l’ordre des experts-comptables, le juge de l’élection a refusé de déclarer l’inéligibilité dans l’hypothèse où :

  • L’omission de présentation du compte de campagne par un membre de l’ordre des experts comptables est imputable non pas au candidat mais au mandataire financier et que le montant des recettes et des dépenses était limité ;
  • Les candidats ont fourni tous les justificatifs des dépenses, respecté le plafond des dépenses électorales et pris les dispositions nécessaires pour présenter leur compte par un membre de l’ordre des experts comptables après réception de la demande de régularisation envoyée par la CNCCFP ;
  • Le candidat a produit devant le juge de l’élection un exemplaire du compte de campagne visé par un membre de l’ordre des experts comptables et que le montant total des dépenses engagées est faible ;
  • Le candidat a, postérieurement à la décision de la commission, communiqué au tribunal administratif son compte de campagne visé par un membre de l’ordre des experts comptables sans que ce compte ne comporte d’irrégularités ni ne présente de différence notable avec celui qui avait été soumis préalablement à la Commission.

Autrement dit, l’omission de déposer auprès de la CNCCFP un compte de campagne présenté par un membre de l’ordre des experts-comptables est une omission particulièrement grave et, s’il est particulièrement difficile d’obtenir l’annulation de la décision de rejet du compte de campagne, rien n’est toutefois définitivement perdu concernant le risque de déclaration d’inéligibilité.

C’est sur ce point qu’il s’agit alors de se battre. Car il s’agit de convaincre le juge de l’élection que les circonstances du dossier correspondent précisément aux hypothèses prévues par la jurisprudence dans lesquelles le juge de l’élection n’a pas estimé nécessaire de déclarer le candidat inéligible.

L’affaire qu’avait à défendre le cabinet devant le tribunal administratif de Caen concernait le rejet du compte de campagne d’un binôme de candidats aux élections départementales des 20 et 27 juin 2021 au motif de l’absence de présentation du compte par un membre de l’ordre des experts-comptables.

Cette erreur résultait d’une interprétation assez malheureuse des textes par le mandataire financier du binôme. Or, le risque d’inéligibilité auquel s’exposait les candidats était d’autant plus dramatique que le binôme en cause avait remporté l’élection et qu’il s’exposait donc à la perte de son mandat. Ce risque était en l’occurrence d’autant plus élevé que :

  • Dans un cas d’espèce comparable, sans être tout à fait identique, le tribunal administratif de Caen avait déclaré les candidats fautifs inéligibles ;
  • Le rapporteur public proposait dans le cas d’espèce que les deux candidats soient déclarés inéligibles et démissionnent d’office.

A l’issue d’une audience où les échanges avec la formation de jugement se sont avérés particulièrement constructifs, il a été démontré que le binôme en cause était de bonne foi, justifiait d’une cause exonératoire et avait produit devant le tribunal un compte de campagne visé par un expert-comptable. Le juge de l’élection n’a sans doute pas non plus été indifférent à l’attitude des défendeurs qui avaient choisi de ne pas contester le rejet de leur compte de campagne et fait preuve de respect à l’égard du tribunal en se présentant devant lui le jour de l’audience (circonstance qui n’est sans doute pas déterminante mais qui compte).

Pour autant, obtenir un non-lieu était loin d’être acquis d’avance car chacun sait combien il est complexe d’inverser la tendance lorsque l’on a des conclusions défavorables du rapporteur public.

Par un jugement n° 2200537 du 13 mai 2022, le juge de l’élection a toutefois suivi l’argumentaire proposé par les défendeurs et considéré que, si le compte de campagne du binôme en cause avait été rejeté à bon droit, il n’y avait toutefois pas lieu de déclarer les candidats inéligibles. En l’absence de déclaration d’inéligibilité, le mandat des deux élus est dès lors sauvé.

« It ain’t over until the bell rings… » (Rocky Balboa)

Crédit photos : Maxppp – Christophe Petit Tesson

Jean-Christophe Ménard rejoint le cabinet LOG Avocats comme associé à partir du 1er janvier 2024.

Une évolution pour vous apporter de nouvelles perspectives.